Actualité jurisprudentielle française en matière de baux commerciaux
La fin de l’année 2020 a été marquée par deux décisions importantes de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en matière de baux commerciaux qui méritent une attention particulière.
La première décision a été rendue le 19 novembre 2020 (n°19-20.405) et concerne l’application aux baux en cours de la loi Pinel et l’imprescriptibilité du réputé non écrit.
Il s’agit en l’espèce d’un bail commercial à effet au 1er avril 1998, renouvelé à compter du 1er octobre 2007. Le bailleur a délivré un commandement de payer au preneur, puis l’a assigné en référé en acquisition de la clause résolutoire. Le preneur, à son tour, a assigné le propriétaire afin de voir déclarer réputée non écrite la clause de révision du loyer stipulée au bail et annuler le commandement de payer.
La loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi Pinel », a modifié le régime des baux commerciaux, et notamment l’article L. 145-15 du Code de commerce en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du Code de commerce, leur caractère réputé non écrit.
Selon le pourvoi du bailleur, les contrats en cours demeureraient soumis à la loi ancienne en vigueur à la date de leur conclusion et la loi Pinel ne serait donc pas applicable en l’absence de toute disposition transitoire expresse contraire.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du bailleur en précisant que la nouvelle sanction du réputé non écrit est d’application immédiate à tous les baux commerciaux, même à ceux conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Ce qui s’explique par le principe jurisprudentiel selon lequel la loi nouvelle est d’application immédiate aux effets futurs des situations légales en cours, par opposition aux effets futurs des situations contractuelles en cours qui eux restent soumis à la loi ancienne. Or, en l’espèce, il s’agissait bien d’un effet légal attaché au contrat, à savoir la révision du loyer, indépendant de la volonté des parties.
En raison de l’application immédiate de la loi Pinel aux contrats en cours, la Cour de cassation a également précisé qu’à la différence de l’action en nullité se prescrivant par deux ans, l’action visant à voir une clause réputée non écrite est imprescriptible.
La deuxième décision a été rendue le 10 décembre 2020 (n°20-40.059) et concerne l’indemnité d’éviction que le bailleur doit verser au preneur en cas de refus du renouvellement du bail. Par cet arrêt, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la possible atteinte disproportionnée de l’indemnité d’éviction au droit de propriété du bailleur.
L’article L. 145-14 du Code de commerce prévoit que l’indemnisation du locataire évincé doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession.
La Cour de cassation estime que cette disposition, ne prévoyant pas de plafond pour l’indemnité d’éviction, pourrait porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur car le montant de cette indemnité pourrait être supérieur à la valeur vénale de l’immeuble (lorsque la valeur du fonds de commerce la dépasse).
L’intérêt de la question posée au Conseil constitutionnel est majeur dans la mesure où elle pourrait aboutir à une réécriture de l’article L. 145-14 du Code de commerce prévoyant le plafonnement de l’indemnité d’éviction.