L’épineuse question de l’opposabilité des clauses attributives de juridiction
Suite à la proposition de trois questions préjudicielles par les juges espagnoles, la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans une décision du 24 avril 2024 (aff. jointes C-345/22, C-346/22 et C-347/22) rendue dans le domaine des transports maritimes internationaux, s’est prononcée sur la question de l’opposabilité des clauses attributives de juridiction aux tiers.
En l’espèce, il s’agissait d’une livraison de marchandises arrivées endommagées au port de destination pour laquelle l’assureur subrogé dans les droits du tiers porteur du connaissement a assigné le transporteur devant les tribunaux espagnols du lieu de livraison. Ce dernier a contesté cette compétence en invoquant la clause attributive de juridiction qui figurait au verso du connaissement en faveur des juridictions britanniques
La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de la question de savoir si l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction au tiers porteur d’un connaissement est régie par la loi de l’état membre dont la juridiction est saisie ou par la loi applicable au fond du litige et déterminée sur la base des règles de droit international privé.
L’article 25 du règlement (UE) n. 1215/2012 « Bruxelles I bis » dispose que la validité d’une telle clause s’apprécie eu égard de la loi de l’état du juge saisi, mais ne précise pas si cette même règle s’applique également en matière d’opposabilité.
Conformément à sa jurisprudence antérieure (CJCE, 9 nov. 2000, Coreck, aff. C-387/98), la CJUE affirme que l’opposabilité aux tiers des clause attributives de juridiction doit être déterminée sur la base de la loi qui régit le litige au fond.
De plus, les juges européens font une distinction selon que la loi qui régit le litige au fond considère que le tiers porteur est subrogé entièrement ou partiellement dans les droits du chargeur. Dans la première hypothèse, la clause lui sera opposable même s’il n’y a pas consenti. Dans le second cas, le consentement du tiers est nécessaire et doit être caractérisé sur la base des éléments d’espèce.
Il est à noter que la Haute Juridiction française est alignée sur la position de la Cour de justice de l’Union européenne exposée ci-dessus. Toutefois, dans un arrêt du 14 décembre 2022 (n° 20-17.768), la chambre commerciale de la Cour de cassation française a adopté une position divergente lorsque le droit européen n’est pas applicable au litige international en exigeant l’acceptation spécifique de la clause attributive de juridiction de la part du tiers afin qu’elle lui soit opposable indépendamment du droit applicable au fond.
La Cour de cassation italienne a précisé que la clause attributive de juridiction, contenue dans un contrat qui a fait naître une créance ayant fait ensuite l’objet d’une cession, maintient ses effets à l’égard des parties initiales et est également opposable au cessionnaire qui a succédé au créancier cédant, sauf accord contraire entre le cessionnaire et le cessionnaire au moment du consentement à la cession (Cass. civ., sez. un., 7/4/2020, n. 7736).
Au vu des éléments ci-dessus illustrés, il convient d’être prudents non seulement dans la rédaction et la souscription des conditions générales de vente, mais également des documents contractuels de transport des marchandises vers leur lieu de livraison.